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Calixte se récria, mais elle était heureuse…

« Je n’ai rien à vous donner pour lui, — répondit-elle. — N’a-t-il pas tout de moi, excepté moi ? Je lui écris tous les jours, et lui, de son côté, tous les jours, me répond… Ah ! je sais sa vie heure par heure… Mais vous, Néel, vous le verrez… et c’est ainsi qu’en me revenant, vous me rapporterez un peu de mon père !

— Ah ! fit-il à ce mot si profond d’amour ; jaloux de tout, injuste et amer, parce qu’il souffrait des tortures, est-elle bien sûre de ne pas l’aimer mieux que son Dieu !… Et moi, insensé, j’ai pu croire, une seule minute, j’ai pu croire qu’il y avait peut-être place dans son âme pour un autre amour !

Elle le conduisit au perron, quand il prit congé d’elle. La nuit était laide. Le vent rechigné. La lune voilée. Un brouillard glacé se levait sur l’étang. Mais elle ne lui dit pas : « Attendez à demain ! » il allait voir son père ! Il faisait beau ! Néel était trop heureux ! — Tête nue à l’humidité qui tombait, elle appuyait, sans s’en apercevoir, son bras nu sur la balustrade du perron, qui pleurait, comme les pierres pleurent, des larmes glacées… pendant que lui montait à cheval, au bas des degrés. Le vent éteignit le flambeau qu’elle tenait… mais son âme n’était pas aux présages !