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L’amour de Dieu apprend vite l’amour de la terre. Calixte avait vu, dès la première visite faite par monsieur de Lieusaint et sa fille à Néel, malade au Quesnay, que l’amour et la jalousie avaient planté leur épine dans le cœur de Bernardine, et vous vous souvenez si elle en avait été touchée ! Mais l’éloignement, la préoccupation de son père, l’espoir toujours trompé, mais toujours vivant, que Néel cesserait de l’aimer, elle ! avaient énervé et endormi cette pitié de Calixte pour mademoiselle de Lieusaint. Le temps avait coulé sans qu’elle eût beaucoup pensé à la fiancée que délaissait Néel.

Cette image de Bernardine s’était effacée… Mais, quand elle la revit tout à coup, au retour du chemin des Landelles, traînant de sa secrète blessure, comme une biche frappée en plein flanc ; quand elle aperçut sur ce beau visage, que Corrège aurait peint et dont il eût fait celui de l’Aurore, ces deux effroyables ornières que creusent les larmes, quand c’est à torrents qu’on en a versé, et qui sillonnaient des yeux à la bouche ces joues pâlies que le sentiment réprimé de la vue de sa rivale faisait trembler, Calixte sentit sa pitié la reprendre avec la force de la flamme que la cendre a couverte, et qui se réveille ! Elle se promit en ce moment qu’elle n’oublierait plus Bernar-