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ment la suppression totale de ces peureuses charmantes et de ces maladroites divines que la fierté de l’Amour protecteur regrettera toujours.

En développant la force du corps chez les jeunes filles, nos fausses éducations ne se doutent pas à quel point elles tuent la grâce, cette sœur de la force, et même la tendresse… C’est l’éternel meurtre d’Abel par Caïn qui se continue depuis le commencement du monde, dans tous les ordres de faits. Bernard de Lieusaint, qui n’avait pas cette âme de mère que les pères ont parfois, mais par exception, comme l’avait Sombreval, Bernard, qui n’était simplement que père, avait cherché l’illusion d’un fils dans la jeune fille qui parait sa solitude et animait son isolement.

De bonne heure, il avait fait monter à Bernardine les pouliches de ses herbages… Il l’avait emmenée à la chasse. Il lui avait mis un fusil, léger comme un jouet, dans ses mains rosées. Il lui avait appris à cligner un de ses beaux yeux bleus, pour lesquels il devait y avoir de bien plus délicieuses manières de se fermer, et à tirer, d’un doigt ferme, sur la languette, sans que le front, — son front d’enfant, — bougeât d’une ligne, si près qu’il fût de la détente, au coup de feu !… Les mères, jalouses de Bernardine, disaient : « Elle sera bien jolie