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les tons d’ocre hâve de ses ciels au soir, en cette saison qui est elle-même un soir, — le soir de l’année !

Des pièces de terre qu’ils embrassaient du regard et qui faisaient damier dans la perspective, montait vers eux, velouté par la distance, le bruit des flêts des batteurs de sarrasin, car c’était le temps des batteries… On en voyait les fumées bleues, à dix points divers, à l’horizon : spirales grêles qui s’élevaient de ces amas de tuyaux de sarrasin battu que l’on brûle sur place, à trois pas des nappes blanches étendues dans lesquelles on en a recueilli la fleur, elles se tordaient un moment, comme des âmes en peine, dans ce calme ciel gris ; puis, dispersées par la brise dans l’étendue, donnaient de la profondeur et de la rêverie au paysage.

Néel et Calixte étaient assis dans les landelles, sur des arbres coupés et équarris, comme on en rencontre souvent dans les campagnes. On les y laisse pour qu’ils durcissent à l’air du temps et qu’ils y noircissent à la pluie. Ce sont des bancs pour ceux qui passent ! Tout à coup un bruit de charrette, aux essieux sifflants, s’entendit, et le fils Herpin déboucha d’un de ces chemins qui aboutissaient aux landelles. Il conduisait une charrette basse attelée seulement de deux bœufs trapus, et il dut passer près des deux jeunes gens, puisqu’il avait à