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la vie qu’elle n’avait pas, et qu’elle a maintenant, qui la rend si belle !… Et jamais, ajoutait-il avec rage, un jour de cette vie ne sera pour moi ! »

Puis revenant aux idées qui pesaient toujours sur sa pensée et l’enveloppaient de ces crêpes funèbres qui, du reste, ne l’attristaient pas :

— Nous ne mourrons donc pas ensemble, comme elle l’a dit, la grande Malgaigne ! — pensait-il encore. C’est moi qui mourrai et qui mourrai seul !

Il s’était fait une poésie de mourir avec elle, et il regrettait cette poésie. C’était là le seul égoïsme qui fût resté à son amour. C’était la seule résistance de l’ancien Néel qu’elle n’avait pu vaincre, dans le nouveau qu’elle avait créé, cette fille qui recommençait, en l’approfondissant, l’histoire de Sargines et que le vieux Herpin, dans son langage de bouvier, appelait « une apprivoiseuse de taureaux sauvages ! »

… Or, le soir qu’il pensait ainsi, avec amertume, ils étaient allés se promener autour du Quesnay, un peu plus loin qu’à l’ordinaire, profitant de cette santé qui montait dans Calixte, comme la sève dans la fleur ; profitant aussi de ces derniers beaux jours d’automne qui versent également dans les cœurs l’ivresse et la mélancolie… Néel ne savait plus distin-