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ne l’exigeait pas pour sa fortune, — ce qu’ils auraient compris, ces Tartuffes !! et il accomplit l’immense capucinade (pour eux !) d’aller, pendant son ambassade à Venise, recevoir la prêtrise des mains du Patriarche d’Aquilée, dans son grand costume d’ambassadeur. N’en est-ce donc pas assez pour expliquer qu’ils n’aient jamais voulu juger Bernis et pour avoir appliqué sur sa renommée le masque de poix de tant de petites anecdotes qui s’y sont collées, et qui nous empêchent de le bien voir ?

Mais il va se montrer à nous, et dès les premiers pas qu’il fait dans la vie. Il commence de loin ses récits. Il dit ses premières sensations, ce cadet de famille, tonsuré dès douze ans, et les sensations de sa puberté sont très pures, à une époque où certainement tous les polissons de quinze ans qui existaient en France ressemblaient moins à cet ange de Louis de Gonzague qu’au Chérubin de chez le comte Almaviva. Il dit sa dévotion d’alors ; car il se sentit ivre de dévotion à l’âge où l’on est ivre d’une autre ivresse, lui qui devait plus tard planter là son séminaire de Saint-Sulpice et tourner si insoucieusement le dos à la maison paternelle ! Seulement, ce qu’il ne dit pas et ce que je voudrais qu’il eût dit, c’est comment, dans sa crânerie d’indépendance, il put, moins étourdi que résolu, se jeter dans le monde le plus élevé (le monde de sa naissance) comme on se jette à l’eau quand on sait parfaitement nager, et comment il put, dans les