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dans lesquelles M. Flaubert a montré le plus son genre de talent, sagace et cru jusque dans les nuances, qu’il saisit fortement et finement, comme un chirurgien pince les veines. Avant cette scène, nous avions les prodromes du roman, mais il faut le dater réelle ment de ce bal, où l’œil commence de corrompre l’âme et où le monde extérieur entre dans le cœur de madame Bovary pour n’en plus sortir.

Il y allume des soifs qu’elle n’apaisera plus, même en les étanchant. Ces hommes aux manières inconnues, qui ont froissé sa robe en valsant avec elle, lui ont communiqué la peste des désirs coupables et le dégoût de la vie qu’elle retrouve en rentrant au logis. Le levain des sensations, goûtées à ce bal, fermente… Un clerc de notaire, aux joues roses, timide et curieux, sentimental et niais comme une romance, est sa première pensée, nettement adultère, mais ce n’est qu’une pensée. Ce jeune homme, que l’auteur ramènera plus tard et qui sera le second amant de madame Bovary, cède la place au roué, grossier, expert et hardi, frotté d’une élégance équivoque, qui devait triompher naturellement d’une femme comme elle, car dans l’éloignement de la société que son souvenir hante, c’est l’homme qui lui rappelle le plus, par les surfaces, les beaux du château de la Vaubyessard. Ce n’est qu’un bourgeois, mais il est riche. Il porte des habits de velours vert et des bottes molles, et il a tout ensemble du gentillâtre, de l’écuyer du Cirque et du parvenu. Cet homme de tempérament et de tournure, qui a l’usage des femmes perdues, et qui n’est qu’un vrai drôle au fond, a trouvé la femme du médecin jolie, et à la première vue, à une séance de Comices agricoles,