Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/149

Cette page n’a pas encore été corrigée

universel qui pose, sous tant de faces, devant nous. C’est là à peu près tout.

Les autres figures du roman ne sont que des comparses, de plats repoussoirs sur lesquels la tête de Daniel puisse bomber. Mais Daniel lui-même, Daniel non plus, n’est pas un caractère, lui, le détritus de tous les types, forcenés et faibles, dont le Romantisme a fait ses héros si longtemps ! Il ne reste donc que le langage, mais Chateaubriand peut se tenir tranquille dans sa tombe, il n’est pas encore détrôné !

Et tant mieux ! du reste ; tant mieux ! C’est comme une justice, et, à coup sûr, c’est une douceur que de voir le talent manquer à ceux qui manquent aux lois morales ! Tant mieux que ce Daniel ne soit pas le chef-d’œuvre que l’on disait, puisqu’il devait être la mise en action et en drame, pour la faire triompher, d’une des plus honteuses doctrines du XVIIIe siècle ! Tant mieux que ce Daniel, qui n’a pas peut-être reçu le baptême, dans la pensée de M. Feydeau, — « qui adore le suprême idéal, et s’indigne contre l’hypocrisie », comme si c’était maintenant d’hypocrisie qu’il s’agissait, — que ce Daniel, élevé comme un jeune chien par un oncle de vaudeville « qui a aimé les femmes et la vie facile », et que son neveu appelle un ange, ma foi ! tant mieux que ce contempteur de la société, telle qu’elle est faite et qui pose comme la loi, l’abaissement, le foulement aux pieds de toute loi par la passion désordonnée, n’ait pas le prestige du talent, ne soit pas couvert par cette éblouissante et effrayante magie, et qu’ainsi il ne puisse entraîner les imaginations charmées et troubler le fond des consciences en remuant puissamment le fond des cœurs ! Tant