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gants à dix-huit sous. C’est du Chateaubriand de salle de bain, qui voit la mer par la fenêtre de l’établissement. Certes, pour l’honneur littéraire de M. Feydeau, l’auteur de Fanny aurait dû rester ce qu’il était, un réaliste que je ne comparerai pas à Champfleury, — un réaliste de l’état-major de la place, qui emboîte le pas derrière M. Gustave Flaubert, et qui a voulu cette fois-ci lui passer par-dessus la tête, mais en vain. Il est resté à son ancienne place ; il n’a pu s’enlever.

Son triste roman d’aujourd’hui, moins inventé et moins intrigué que les romans les plus tombés, que Caroline de Lichtefield, par exemple, devait avoir, pour être quelque chose, ou de la passion, ou des caractères, ou un grand langage, et tout cela lui a triplement manqué ! La passion de Daniel est sans intérêt et sans grandeur, car elle ne combat contre rien dans l’âme de celui qui l’éprouve, et qui est un philosophe à la manière de Champfort, lequel affirme que l’amour légitime tue par sa violence. Or, la passion qui ne s’ensanglante pas elle-même contre le devoir dans nos cœurs n’est plus qu’un désir assez ignoble, fait de sens et de vanité. Quant aux personnages du livre de M. Feydeau, j’ai dit en deux mots (car il n’en faut pas plus), ce qu’étaient Georget et Cabasse. Eh bien ! il y a encore un comte de Grammont, l’oncle de la jeune fille, Fontenelle-dandy qui finit par glisser dans le dévouement et qui se fait tuer, par honneur du monde, pour sa nièce ; vrai d’inconséquence, ayant l’intérêt d’une larme retrouvée dans un œil qu’on croyait séché ; d’ailleurs sans profondeur aucune, et tout le temps qu’il est égoïste, très-facile à peindre, dans l’égoïsme