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vie, l’innocence de l’enfance, et son charme, venant à bout du stoïcisme le plus altier.

Certes, tout cela est assez haut, assez pur, assez lumineux, assez beau pour que l’imagination en tire des effets d’une beauté touchante ou grandiose. Pourquoi donc ne les trouvons-nous pas, ces effets, dans le livre de M. Sandeau ? Ah ! je vais lui dire un mot bien grave : c’est que son livre est sans bonne foi. Il n’a ni la bonne foi de l’admiration, ni la bonne foi de la haine, ni la bonne foi du mépris. L’ironie est un mauvais génie, même quand elle est puissante ; mais l’ironie de M. Sandeau est quelque chose d’excessivement mince et de peu en rapport avec les types dont il veut faire la caricature. Il y a un caricaturiste qui nous étreint le cœur et qui nous plante aux lèvres un rire plus triste que les larmes : c’est ce grand profanateur de Cervantès. Seulement, il ne rit pas, lui, et, quoiqu’il soit difficile de l’aimer, on sent avec respect qu’il est un maître, tandis que M. Jules Sandeau ricane comme un petit journal, au nez même des personnages qu’il met en scène, et, par là, tue l’émotion avant qu’elle soit née, en la tarissant dans sa source. La moitié du roman de M. Sandeau est dans un ton et l’autre moitié dans le ton contraire, non pas parce que le conteur cache un projet déterminé dans l’emploi de cette double manière, mais parce qu’il ne gouverne pas sa pensée. Il est le Pantin de son propre récit, et ce sont les faits qui le mènent, à tel point que la Critique, qui sait observer et conclure, se demande si les faits du roman sont des inventions sorties de sa tête ou qu’on y a fait entrer en les lui racontant.