Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/82

Cette page n’a pas encore été corrigée

quoique nous ne puissions jamais admettre que la poésie existe en raison directe de sa difficulté, cependant cette poétique a donné en M. Gautier un tel phénomène d’expression et de style, que la gloire littéraire, ce talent du talent, n’est certes pas trop pour le payer. Doué de facultés poétiques très-fortes, M. Gautier a toujours été, depuis vingt-cinq ans, en progrès sur lui-même, et ce que la Critique doit voir dans l’appréciation des œuvres d’un homme et surtout d’un poète, c’est bien moins le point de départ que le progrès. Il y a plus : le point de départ serait complètement faux et même absurde, qu’il faudrait tenir compte du progrès… Romantique de la première heure, ardent, échevelé, révolutionnaire comme on l’était dans le temps où il débuta, M. Gautier, sans rien changer à ses conceptions esthétiques, s’est toujours élevé plus haut dans l’aire de son talent et de son vol pendant que tant d’autres sont si tristement descendus.

A mesure qu’il a vécu et travaillé (et j’emploie ce mot à dessein) il s’est dégagé de ses écumes et de ses scories. Il s’est filtré, et quoiqu’on soit un peu étonné de ce mot-là quand il s’agit de M. Gautier, il s’est purifié, mais seulement encore à la manière d’un liquide ou bien d’un cristal. Parti non le premier, ni même le second des Coureurs Olympiques du temps, il est arrivé aujourd’hui, montrant plus que ce maigre volume de poésies qui a suivi au bout de tant d’années les Contes d’Espagne et d’Italie (cette éblouissante promesse d’une jeunesse, trahie par la virilité), et n’ayant jamais eu dans sa vie de Contemplations ! Romancier, critique, écrivain de théâtre, il a éparpillé