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III

Eloa ! voilà la poésie de M. Alfred de Vigny, le fond incommutable de son génie, l’âme qui a rayonné, — pressentiment ou souvenir, — dans tout ce qu’il a écrit et tout ce qu’il écrira jamais, s’il écrit encore ! Quelle fatalité bénie ! II y a de l’Eloa dans tout ce qu’a fait M. de Vigny, mais il y en a et il devait surtout y en avoir dans ses Poèmes, parce que dans ses Poèmes M. de Vigny n’est qu’un pur poète. N’être qu’un pur poète ! Réduction des molécules de l’homme, qui le fait passagèrement divin ! Le magnifique poème de Moïse, à coup sûr, après Eloa, le plus beau du recueil, et qui paraît plus mâle et plus majestueux peut-être à ceux qui oublient ce Satan d’Eloa dont Milton aurait été jaloux, — le poème de Moïse n’apparaît pour la grandeur du sentiment et de l’idée, l’ineffable pureté des images, la solennité de l’inspiration, la transparence d’une langue qui a la chasteté de l’opale, qu’un fragment détaché de cette Eloa qui n’est pas seulement l’œuvre de ce nom, mais chez M. de Vigny, l’angélique substance de la pensée.

Moïse cependant est d’une fière beauté. Ce n’est pas le Moïse vrai, historiquement peut-être, le Moïse hébreu et biblique, mais quel beau Moïse humain, profond à la manière moderne, car il n’y a que les modernes qui soient profonds ! Quelle caducité ennuyée de grand homme qui a tout pénétré ! Quelle prodigieuse fatigue de sa supériorité ! Quelle lassitude de