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Œuvres complètes où il a été ce que Racine est seulement dans les siennes, car, le poète ôté dans Racine, tout s’en va ; il ne reste rien. On a de lui quelques pages de prose, je le sais ; et les admirateurs de son génie disent qu’il aurait pu devenir ce grand miroir clair qui foudroie, comme celui d’Archimède, et qu’on appelle un historien. Mais de fait, il n’y a qu’un poète dans Racine. Même quand il a cessé d’être le poète idéal, lyrique et tragique, il est encore poète dans la comédie et dans l’épigramme ; tandis que M. de Vigny est tout autre chose ; il ne s’épuise pas dans le poète. Il est à côté, sinon au-dessus. C’est un observateur, c’est un moraliste, c’est un inventeur à tout autre titre qu’au titre de poète, c’est un historien, c’est un romancier, c’est enfin un de ces esprits marqués du caractère essentiellement moderne, qui ont fait vibrer sous leur main un grand nombre de faits, de sentiments et d’idées, et chez qui l’imagination est devenue encyclopédique comme la mémoire.

Certes, toute cette partie des œuvres de l’homme qui a écrit Stello, Grandeur et Servitude militaires, Cinq-Mars, Chatterton, La Maréchale d’Ancre, et traduit Othello et Shylock avec une précision qui est une création dans la langue, toute cette partie si considérable mérite d’être prise à part et jugée, en soi, par la Critique, et voilà pourquoi nous l’y mettons, à part, pour, dans d’autres volumes *, l’y retrouver. Mais le poète devait passer d’abord, parce qu’en toute matière il est le premier par l’invention, et aussi parce qu’il est universel, car, au fond de toute invention, il faut qu’il