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talent encore, lorsqu’elle le peint en le ravalant ! Oui, toute la question, la seule question que la Critique doive poser à M. Hugo, est celle-ci : Que lui a donc rendu le monde moderne en place du talent qu’il lui a sacrifié, en le lui consacrant ? C’est là une question littéraire facile à résoudre comme une question d’arithmétique. Il n’y a qu’à compter. Prenez les pièces les plus belles de La Légende des siècles, inspirées toutes, plus ou moins, par le Moyen Age ou ce qui en reste (il y a bien du Moyen Age dans Le Régiment du baron Madruce), et comparez-les tranquillement à celles dans lesquelles le monde moderne a mis son panthéisme, son humanitarisme, son progrès illimité et tous ses amphigouris sur les êtres, la substance, l’avenir et les astres, et vous aurez bientôt jugé.

M. Hugo qui, comme Corneille, est Espagnol parce que l’Espagne est la concentration la plus profonde du Moyen Age, M. Hugo qui, dans son Momontombo, fait philosopher des volcans comme des encyclopédies, au lieu de nous donner les Légendes de l’Inquisition, — et il y en a de magnifiques en Espagne, — M. Hugo cesse d’être ce génie qui, à côté de la plus éblouissante hyperbole, a des simplicités d’eau pure dans une jatte de bois, quand il sort de sa vraie veine, cette veine que rien ne peut remplacer. Aujourd’hui, dans cette traversée des siècles, pendant laquelle il a brûlé les plus beaux endroits en ne s’y arrêtant pas, M. Hugo a voulu nous frapper la médaille, — tout un bas-relief, — de la décadence romaine, et il a été fort au-dessous de Juvénal. Dans Le Satyre, où le Panthéisme a eu enfin son poète en