Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/39

Cette page n’a pas encore été corrigée

cette espèce d’illusion serait entretenue par le sou­venir de ce que fut M. Hugo autrefois, et par les vers heureux semés ça et là, de temps en temps, à travers toutes ces poésies. Nous ne répugnons pas à être juste. Quand M. Victor Hugo, qui fait des vers depuis quarante ans, publie deux volumes embrassant toutes les dates de sa vie, il est impossible qu’il n’y en ait pas quelques-uns qui aient trompé le système dé­pravé du poète. Mais ces vers, rares d’abord — rari nantes in gurgite vasto, — matériels, d’ailleurs, comme des camées, des soucoupes, des vases ébréchés ; rompus souvent d’un hémistiche à l’autre, tous ces débris, où un reste d’art brille et s’exhale, ne peuvent arrêter le jugement définitif que la Critique est tenue, en honneur, de porter sur un talent qui n’a plus ni ensemble, ni articulations, ni vie régulière, ni cha­leur vraie, ni lumière tranquille, ni rien enfin de ce qui constitue une créature, supérieure aux facultés sensibles et raisonnables de l’humanité, comme doit l’être un poète, et qui, au contraire, peut écrire des choses comme celles-ci : Tout est plein d’âmes !

Mais, comment ? oh ! voilà le mystère inouï !

Puisque tu ne t’es pas en route évanoui,

Causons. Dieu n’a créé que l’être impondérable.

Il le fit radieux, beau, candide, adorable,

Mais imparfait. Sans quoi, sur la même hauteur,

La créature, étant égale au Créateur,

Cette perfection dans l’infini perdue,

Se serait avec Dieu mêlée et confondue,

Et la création, a force de clarté,

En lui serait rentrée et n’aurait pas été.

La création sainte, où rêve le prophète,