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parlant, avec la tristesse qu’inspire M. Hugo à ses lecteurs, du livre des Contemplations. L’exil, — selon ces messieurs, — sacre tout, même les méchants vers. C’est une belle théorie ! Dante n’avait pas besoin d’être un grand génie et un grand caractère. Il n’avait pas besoin de produire son triple chef-d’œuvre. Il pouvait être un poète de pacotille, et de pacotille avariée. Il pouvait descendre moins majestueusement qu’il ne les a descendus, les escaliers de l’étranger. Au lieu de parler la langue de son pays dans cette pureté d’accent qui est une patrie qu’on emporte avec soi, comme les Anciens emportaient leurs dieux, il pouvait parler une langue barbare : il était exilé ! Il avait, par cela même, le droit de se moquer du public, du bon sens, de toutes les choses jusque-là respectées pair les hommes. Il le pouvait impunément. Le pavillon couvrait la marchandise. Il était exilé. L’exil est un argument récemment découvert contre la Critique, en littérature. Cet argument inouï dormait au fond de l’absurdité humaine, mais ces derniers temps l’en ont fait sortir.

Et ces messieurs sont de très-bonne foi. Nous les croyons d’une sincérité qui les honore. L’exil a fasciné leur générosité naturelle, et leur esprit, le calme de leur esprit, a été perturbé par la chevalerie de leur cœur. Sans cette magnanimité attendrie, ils penseraient comme nous, ils diraient comme nous, de ces deux volumes sous lesquels la réputation poétique de M. Victor Hugo reste ensevelie ! Supposez que M. Hugo fût sénateur aujourd’hui, comme autrefois il a été pair de France, il n’y aurait qu’une opinion