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l’épaule la marque des pavois que nous avons portés.

Mais il vient un moment, le moment de l’indépendance, de la virilité complète, de la possession de soi-même, où ce qui fut un écho devient une voix, où l’on ne répète plus les autres, et où l’on parle enfin pour le compte de sa pensée. Ce moment-là, nous l’attendions de M. Bouilhet. On annonçait un nouveau volume de poésies. Nous nous disions : L’originalité, retardée par la jeunesse et les admirations, va peut-être éclater dans les vers de ce jeune homme qui a l’art des vers ; elle va remplir les larges moules de son rhythme, qui semblent préparés pour elle. Mais nous avons lu le volume.

Nous avons trouvé des vers bien faits, de beaux moules à idées, sans l’idée, l’aisance d’un poète, mais non sa puissance, et nous avons craint que M. Louis Bouilhet ne fût définitivement qu’un écho, — un écho puissant, distinct, sonore, répétant toutes les syllabes qui ont été prononcées, et même les répétant plusieurs fois, ce qui, pour un écho, est un très-grand mérite… Mais M. Bouilhet (son volume ne le prouve que trop) sait la mythologie. Écho mourut, je crois, d’amour pour Narcisse. Elle s’évapora, consumée… Eh bien ! c’est dans l’histoire comme dans la fable. On vit d’abord de ceux qu’on répète ; mais on finit toujours par mourir de les avoir tant répétés !