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pensée d’un poète, qui, s’il a bu, je le crains bien, a bu surtout des larmes… de ces larmes qui restent longtemps aux yeux sans en tomber, qui coulent enfin et qu’on dévore. Il me semble que j’en ai senti l’amertume dans la douceur résignée de ses vers.

Oui, chose nouvelle et bien nouvelle ! la douceur résignée, soit dans la joie, triste joie ! soit dans la tristesse, voilà, par ce temps d’orgueil qui crie, l’accent profond et surmonté de cette poésie qui n’est pas ivre, même de douleur, quoique la douleur ait été véritablement sa grand’pinte ; tel est le fond de cette poésie qui a parfois peint, à la flamande, les murs du cabaret où la pauvre fille s’est assise et a bu un coup, pour se réconforter un peu et pour oublier cette misère de la vie. Il est des gens qui s’y tromperont sans doute, qui prendront le mur plein d’ombre pour l’homme qui s’y appuie, la matière qui se montre, en ces poésies, pour l’âme qui s’y cache, et le dessus pour le dessous. Il en est de ces fins connaisseurs d’à-coté qui diront que M. de Châtillon est de l’école, violemment extérieure, des Matériels, surtout quand ils verront M. Théophile Gautier, dans une préface, mettre la main, — une main presque protectrice, — sur l’épaule du poète inconnu encore, comme si c’était l’un des siens ; et au contraire, M. de Châtillon est un Intime, et sous les descriptions dont il se surcharge, un Idéaliste, un Immatériel ! C’est un sentimental et un sentimental discret, et si discret qu’il oublie de mettre son nom à son épitaphe, car c’est son épitaphe que celle-ci, qui n’est celle de personne dans son recueil, et dans laquelle on rencontre de ces traits, révélation d’une muette destinée :