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lui, quelle que fût sa modestie, en s’exagérant sa valeur. S’il redevient obscur, il n’aura pas du moins vécu obscur… La Vie de Bohême, quand elle parut, cette suite de pochades écrites en un style qui est plus de l’argot que du français, sur des tables de brasserie et de café, entre beaucoup de pipes et de petits verres, parut une délicieuse fantaisie à beaucoup d’esprits et même à la Critique, qui devait pourtant s’y connaître. C’était le dernier mot du Romantisme en gaieté ou plutôt en griserie et le premier du Réalisme qui allait naître et qui allait en dire de plus laids. Les imaginations pour qui la chanson de Béranger « Dans un grenier qu’on est bien à vingt ans » était un chef-d’œuvre d’idéalité durent traiter M. Mürger d’écrivain original, parce qu’il écrivait en manches de chemise, comme on joue au billard.

Tous ceux qui avaient été étudiants pauvres, déchirés, dérangés, déboutonnés, et c’est à peu près tout le monde à un certain niveau social, furent touchés, du fond de la tenue qu’impose plus tard la vie, de toutes les bêtises qu’ils avaient dites ou faites, et qu’on leur montrait dans cette lanterne magique de leur libre jeunesse, et ils parlèrent de M. Mürger comme d’un Sterne plus osé que l’autre (il n’était que cela ! ) dans son milieu d’hôtel garni ou dégarni et d’estaminet. M. Mürger fut nommé presque à l’unanimité le Sterne ou le Henri Heine du Pays Latin. Le bruit qui s’est élevé autour de sa tombe, trop tôt ouverte, ne fut donc point l’expiation ou la réparation d’une injustice, mais la continuation d’une faveur qui, comme bien des faveurs, fut une erreur aussi, pardessus le marché.