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l’esprit monstrueux des décadences n’a pas dégradée, elle n’est que dans les deux seuls grands sentiments à sa portée : l’amour et la maternité. Or l’amour n’est qu’un sentiment de passage. II s’en va avec la beauté et la jeunesse, laissant aux femmes qui ont vécu par lui les yeux pleins de ces larmes qui tacheraient l’honneur de la vieillesse, si on osait les essuyer avec des cheveux blancs !

La poésie de l’amour meurt donc avec l’amour chez la femme. Il reste l’amour des enfants qui peut chanter encore, qui peut chanter toujours : n’a-t-il pas chanté ainsi dans Mme Desbordes-Valmore ? Mais le plus souvent cet amour-là agit plus qu’il ne chanté. C’est mieux qu’une poésie, c’est une vertu. Mme de Girardin, qui n’eut point d’enfants et qui le regrette dans des vers qui disent comme elle les eût chantés si elle en avait eu, Mme de Girardin ne put pas être une Valmore, et quand elle cessa d’être Delphine Gay, la poésie qui était en elle, la seule poésie qu’elle pouvait avoir, le cri du cœur ou sa rêverie, l’émotion de vingt ans disparut… et pour faire place à l’industrie des vers, à l’application volontaire, au technique de la chose, enfin au métier !

Je suis convaincu qu’il en sera toujours ainsi, du reste. Je suis convaincu que le mariage, fatal à la poésie, même chez les hommes, — car la poésie veut presque des prêtres, et la rhétorique, qui appelle les poètes : prêtres d’Apollon, cache un sens profond, toute rhétorique qu’elle est ! — je suis convaincu que le mariage est bien plus fatal encore à la poésie chez la femme, même quand il est heureux, car alors il se substitue à la poésie ! Évidemment pour moi, Mme Delphine