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n’existait plus… Tout à coup, comme pour nous consoler de cette perte et pour la réparer, se mit à jaillir dans la vie (le mot n’est pas trop fort pour dire l’impétuosité de cette jeunesse) une jeune fille qui, elle, chantait de vraies poésies, car elle parlait cette langue des vers que rien, dans l’ordre poétique, ne peut remplacer. Elle était belle à faire mourir de jalousie Mme de Staël, si elle n’avait pas été morte, et si cette âme grande de Mme de Staël n’avait pas admiré sincèrement Mme Récamier !

Ainsi elle n’était pas que poète, cette enfant, elle était aussi la poésie, et tout ce qui aimait la poésie en fut enivré. Elle-même s’enivra aux émotions qu’elle fit naître, mais tout le monde fut de si bonne foi que quand un jour, se croyant une Jeanne d’Arc poétique, elle se proclama Muse de la patrie, personne ne rit dans ce malin pays de France où le sentiment du ridicule est peut-être toute la gaieté. Il faut dire, il est vrai, que si le Français est né vaudevilliste, il est né aussi galantin, et que là où une prétention d’homme serait châtiée par le coup de fouet de l’éclat de rire, une prétention de femme, surtout lorsque cette femme est belle, est admise toujours. Mme Delphine Gay fut presque prise au mot qu’elle avait dit sur elle. Elle eut position sociale d’Inspirée. A la première représentation d’Hernani, quand elle parut sur le bord de sa loge, drapée d’azur, dans ses cheveux blonds, elle fut acclamée comme si elle avait été l’Archange de cette poésie romantique qui, ce soir-là, prenait possession de la scène… Elle ne faisait pas que des vers, mais elle les disait ! Elle en dit jusques au Capitole pour mieux être la Corinne de Mme de Staël. Ainsi, à