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et de la musique, et des paysages et du dernier progrès des arts, que le poète n’a plus, pour toute ressource d’invention, qu’à faire parler les arbres, les fleurs, tous les objets de la nature, ce que M. Quinet, l’auteur de ce grand poème d’Ahasvérus, maintenant à peu près oublia, mit en usage, il y a trente ans !

Eh bien ! voilà ce qu’aujourd’hui M. de Laprade recommence. Ses Idylles héroïques sont des dialogues avec tout le monde et toutes choses. Tout y a sa voix et son personnage, comme dans un drame, avec ces jolies appellations, entre strophes, Les Fleurs, L’Esprit des montagnes, Les Moissonneurs, Bertha, Rosa mystica, etc., appellations que je conçois bien dans un drame fait pour être joué, mais qui me troublent lorsque je lis de la poésie lyrique qui devrait se couler d’un seul jet comme une glace de Venise, et non pas se juxtaposer par morceaux. L’auteur des Idylles héroïques, qui a fait un poème intitulé Konrad, lequel est un Manfred vertueux, un Manfred retourné, car, de fait, il retourne au monde et à la vie morale en sortant de la solitude, l’auteur n’a pas besoin de s’appuyer sur lord Byron pour justifier ce que j’appelle nettement un défaut de composition permanente.

Le Manfred, tout merveilleux qu’il soit, pourrait Être joué, et dans la pensée de Byron, quand il l’écrivait, il supposait un théâtre, tandis que dans la pensée de M. de Laprade les Idylles héroïques sont de la poésie lyrique au premier chef. Or, à notre sens, toute poésie lyrique repousse, d’essence, le dialogue qui n’est pas lié au récit et qui n’y entre pas comme l’intaille même dans le bronze. On le trouve dans quelques Bucoliques de Virgile, il est vrai, mais d’abord, il est