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L’auteur du Roitelet a cela de caractéristique que, moins il prend dans la langue, plus il prend dans la pensée. Plus les pièces sont courtes, plus elles valent, et le progrès pour lui et pour elles sera toujours en raison directe de leur brièveté. Il ne fallait pas tant de cire pour faire des chefs-d’œuvre au sculpteur d’Amours d’Anacréon ! Voilà ce que M. de Gères est essentiellement pour la forme ; seulement cette forme, même quand il la soigne le plus, n’est pas chez lui comme chez tant de poètes de ce temps l’unique préoccupation de sa pensée. Il n’est point pour la Beauté stérile. Ce n’est pas un poète d’art pour l’art. Il ne creuse pas de coupes dans lesquelles on ne doive point boire. Il ne cisèle pas d’agrafes qui ne puissent rien retenir. Ses verselets ont toujours la prétention de dire quelque chose, à ce poète qui a autant de bon sens qu’un prosateur. C’est un moraliste et c’est un élégiaque. Il a les langueurs et les meurtrissures de l’élégiaque, mais du moraliste il a aussi la verdeur et la brusquerie. Il moralise à travers les larmes et le sang du cœur ; c’est un âpre jugeur de la vie. Écoutez-le, en trois strophes, faire le procès à l’expérience :

Le fils n’hérite pas de celle de son père.

Sans cela, dans cent ans, l’homme serait parfait.

Mais un siècle défait ce qu’un autre a refait

Et l’humanité désespère !

Pour tous et pour chacun l’épreuve est éternelle.

C’est le creuset, le crible où l’homme doit passer.

La vieillesse en conseils aura beau se lasser,

L’expérience est personnelle.