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II

Tel ne s’élève point, comme la Tour seule, à toute page du livre d’aujourd’hui (et on le regrette), le poète qui souvent y poind cependant fin, acéré, brillant comme l’aiguille solitaire d’un dôme caché encore par le terrain et qui perce le ciel, en rayant au loin l’horizon ! Il y a deux espèces de poésies dans le recueil de M. Jules de Gères. Il y a la poésie qui vient des autres, le lyrisme commun à ce siècle, coulant à pleins bords et à plein bassin, abondant, écumant, vermeil et rapide. — et celle-là, c’est l’inférieure des deux, — et la poésie qui filtre sous les roseaux plies par le poids des roitelets, gouttes d’eau de source et même gouttelettes, verselets très-évidemment supérieurs à tous les grands vers d’à côté.

Ici ne vous y trompez pas, est la vraie veine de M. de Gères. Malgré l’incontestable talent d’école de l’homme qui a écrit, sans changer de plume, et en trois manières, Le Linceul des forts et Le Dernier soupir du Maure, égaux pour le moins en beauté aux plus belles Orientales de M. Hugo, les larges strophes A la mémoire d’Alfred de Musset, qui rappellent celles de Musset lui-même sur la Mort de la Malibran, et enfin les vers à Blanche, si splendidement et mélancoliquement limpides et lamartiniens ; malgré cette triple puissance, la personnalité de M. de Gères n’est pas dans ce doublement et redoublement d’accords avec les trois grandes lyres du XIXe siècle.