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poète qui a du mouvement, du coup d’aile cinglant fièrement et largement parfois, et qui aurait pu être lyrique, s’il avait été quelque chose ! C’est déjà beaucoup de se remuer encore comme il se remue dans cette machine pneumatique du cœur et de l’esprit, dans cette absence complète de tout sentiment vrai, individuel et profond. D’origine il fallait avoir une organisation d’aigle pour résister à cela, même comme M. le Conte de L’Isle y a résisté. On juge, à le voir rouler en se débattant dans cette vacuité de pensées, dans ce vortex du rien où il meurt, de la solidité d’articulations qui était en lui et qui eût pu l’élever dans l’éther du ciel poétique, s’il avait eu seulement un peu d’âme, — un peu d’âme qui est l’haleine du poète et qui lui permet de monter haut !

V

M. le Conte de L’Isle ne montera pas, étouffé deux fois par le vide d’idées et par le trop-plein de cette description éternelle qui n’est plus chez lui une manière, mais une manie. Nous croyons qu’il ne fera jamais mieux, dans son genre de poésie plastique et d’imitation picturesque, qu’Hélios, Midi, les Hurleurs, La Ravine Saint-Gilles, les Éléphants. Seulement, qu’il nous croie ou non, les laborieux décalques de la peinture sont un travail poétique inférieur. Qu’est devenu Delille, l’autre Delille qui décrivait aussi infatigablement et perpétuellement et qui avait