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on entrevoit la forte originalité de l’esprit qui a concentré tant de vigueur dans de si petits espaces et sous un nombre si rare et si choisi de mots.

L’originalité de M. Joséphin Soulary est, comme nous l’avons dit plus haut, le sombre à travers le brillant, le vin noir, l’absinthe glauque, le bitter plus amer encore et plus dense, teintant les cristaux étincelants aux reflets d’or ! Cet humouristique souvent très-suave, quoique meurtri par l’expérience, n’a rien d’enfant, ni de candide, ni d’affligé à la manière des élégiaques. Il a sucé la mamelle empoisonnée de cette louve qu’on appelle la vie. Peut-être l’a-t-il mordue, mais il est trop viril pour avoir des mélancolies, ce poète contracté dans sa tristesse comme dans son rhythme, ce quadruple joug ! Seulement de cette vie goûtée il est résulté dans son imagination assombrie ce bistre si souvent sinistre qui se mêle à ses couleurs les plus fraîches et les plus brillantes.

Il n’aime pas la mort comme Leopardi, le seul vigoureux élégiaque de ce monde affaissé, mais il en promène sur toutes choses l’ombre qu’il a toujours sur la pensée, et il n’y a pas que dans ses Papillons noirs que cette ombre terrible est projetée ! On la trouve partout dans ses Sonnets comme dans la vie ; dans ses Pastels et ses Paysages, comme dans ses Éphémères, quand il est le plus doux de lueur, le plus outremer, le plus rose, quand son verre de Bohême a des nuances si peu attendues qu’on dirait des surprises du prisme. En voulez-vous une preuve ? Tenez, ceci s’appelle l’épouvantail, — une si jolie chose !