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place commence la sienne. Qu’importe, du reste ! Poésie de terroir ou poésie d’âme individuelle, toutes les deux sont à lui au même titre et font également sa poésie, car les poètes vraiment grands sont ton-jours le résultat de deux hasards sublimes. La circonstance du génie qui leur est donné ne leur appartient ni plus ni moins que la circonstance de la vie qui le leur développe, et l’auteur de Mirèio possède, au degré le plus profond et le plus extraordinaire, ces deux sources d’originalité.

Et il y puise, sans les épuiser l’une et l’autre… Jamais poète n’a tordu plus vigoureusement un sujet que M. Frédéric Mistral n’a tordu cette malheureuse petite donnée d’églogue dont il fait aujourd’hui, comme d’une grappe enchantée, ruisseler des beautés intarissables, sous le pressoir de ses douze chants. Eh bien ! il n’est pas une seule de ces beautés qui ne soit différente des autres et qui ne marque par une variété d’autant plus étonnante que les mœurs peintes par M. Mistral sont naïves, dans leur pittoresque, et les personnages qu’il met en scène, des êtres essentiellement primitifs. Malgré la simplicité forcée de leur type, ces jeunes filles, ces cueilleuses de mûres et ces patres ne se répètent ni ne se ressemblent, et tous ils portent sur le front leur rayon d’individualité. Il y a un chant dans le poème qui est intitulé Le Dépouillement des Cocons, où les compagnes de Mirèio, réunies en un Décaméron laborieux et charmant, commèrent ensemble et rêvent tout haut, dans un dialogue étincelant d’images, et cette peinture dramatique de chacune d’elles montre, par le magnifique dialogue qu’elles tiennent, comme le poète entend la nuance