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Mais le ciel dès l’abord s’est obscurci sur elle,

Et l’arbuste en naissant fut atteint de la grêle.

Elle file, elle coud et garde, à la maison,

Un père vieux, aveugle et privé de raison.

Si, pour chasser de lui la terreur délirante,

Elle chante parfois, une toux déchirante

La prend dans sa chanson, pousse, en sifflant, un cri,

Et lance les graviers de son poumon meurtri.

Une pensée encore la soutient : elle espère

Qu’avant elle bientôt s’en ira son vieux père.

C’est là ma muse, à moi !

Et il a bien raison de dire qu’elle est à lui ! car personne avant lui n’avait écrit, en français du moins, des vers de cette énergie morbide, de cet amer, de ce saignant ! Seulement, ce n’est pas une pareille Muse et une pareille fille qui, comme dans la fameuse pièce du Cénacle, par exemple, peut enfler ses joues creuses sur l’ophicléide de M. Hugo. Ce n’est pas elle qui peut faire, comme dans le Vœu, de l’André Chénier non mythologique ou du Lamartine avec sa mer, sa vague, son azur, comme dans toutes les pièces adressées à Lamartine ; ce n’est pas elle, enfin, qui, pour la publication de je ne sais quel pauvre diable de livre, peut parler pompeusement d’un navire qu’on lance aux flots ! Évidemment, c’est une contradiction : la Muse de Joseph Delorme doit ignorer tous ces langages ; évidemment, elle n’est pas là !