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et de ce petit coin sombre avec son noir chagrin, comme Alceste, allonge sur le monde extérieur un regard qui, comme celui de certains peintres malades de la bile ou du foie, teint, d’une nuance particulière et soucieuse, les objets sur lesquels il va lentement et longuement se fixer.

Poésie assise et rassise comme la Mélancolie d’Albert Durer, mais non si puissante ni si belle ; qui décrit tout curieusement et avec un détail plein de hardiesse et de crudité dans des vers contournés et d’une coquetterie bizarre, mais qui de tempérament répugne à l’élancement, à l’ouverture d’ailes, Musa pedestris, pauvre fille rêveuse, au bord d’une mare verdâtre, accroupie sur le talon de ses sabots ! Vous la connaissez, M. Sainte-Beuve vous l’a peinte en maître. Impossible de l’oublier ! Non, ce n’est pas la monumentale Contemplative du peintre allemand, tenant dans sa main sa joue de marbre ; c’est cette petite maigre, laide, rechignée et souffrante, que les bégueules du romantisme, Mesdemoiselles Jouffroy et Charles Magnin, trouvèrent dans le temps par trop souffrante, quand M. Sainte-Beuve, bravant le dégoût, et réel, comme depuis ne l’ont pas plus été les réalistes, nous la représentait ainsi :

… Quand seule, au bois, votre douleur chemine,

Avez-vous vu, là-bas, dans un fond, la chaumine

Sous l’arbre mort ? … Auprès un ravin est creusé.

Une fille en tout temps y lave un linge usé.

Peut-être à votre vue elle a baissé la tête,

Car, bien pauvre qu’elle est, sa naissance est honnête ;

Elle eût pu, comme une autre, en de plus heureux jours,

S’épanouir au monde et fleurir aux amours, etc.