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n’a pas seulement été philosophe dans son livre, il a essayé d’être historien. Il n’a pas écrit une biographie intellectuelle du penseur, et replacé, après coup, les idées de l’homme, sous le jeu de ses facultés bien étudiées et par l’étude redevenues vivantes, pour voir comment ces idées s’étaient formées, développées et fixées, dans l’action et sous la pression de ces facultés. Il n’a pas fait pour saint Anselme ce que Maine de Biran a fait pour Leibnitz. Non. Il a aimé mieux prendre l’homme tout entier, dans le multiple ensemble de sa vie et à sa place dans tous les événements de son temps, et il a écrit un ouvrage qui n’a pas pour titre unique le nom d’Anselme et qui est aussi le tableau de la vie monastique et politique, au onzième siècle. En cela, M. de Rémusat a eu raison. On ne saurait blâmer sa méthode. Il a cédé à un instinct juste. Si du temps de Leibnitz, en effet, et après Leibnitz surtout, l’homme se spécialise chaque jour davantage et peut s’abstraire de tout ce qui n’est pas sa pensée et le mouvement extérieur de sa pensée, il n’en était point ainsi au Moyen Age où la société tenait bien plus d’espace que l’homme : mère aux bras puissants, dans lesquels l’homme se tassait et, si grand qu’il fût, paraissait petit ! Mais si M. de Rémusat a eu raison d’écrire l’histoire du temps de saint Anselme, pour mieux comprendre saint Anselme, peut-on avouer qu’il l’ait compris ? Franchement, quand on a lu attentivement son travail, peut-on dire que le métaphysicien, avec les grêles propositions de son analyse habituelle, ait vu réellement et jugé profondément ce mâle onzième siècle qui demanderait tant de vigueur de génie et de largeur d’appréciation ? Non, certainement !