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L’économique des rêveurs la met, elle, dans l’action illimitée de l’homme et dans la disposition des trois règnes de la nature. De là leurs conceptions si diverses ! Fataliste au premier chef et au second inconséquente, l’économique des rêveurs a encore ceci de particulièrement absurde, qu’elle croit au bonheur absolu sur la terre et qu’elle pose l’obligation stricte pour les gouvernements de le réaliser. Ainsi, d’une part, l’idée que l’homme-fonction doit le bonheur a l’homme individuel, et d’autre part, l’idée de ce bonheur que vous pouvez faire définir au plus modeste et qui n’en sera pas moins toujours un inventaire de Dieu, supérieur de tout à l’aurea mediocritas d’Horace, voilà la double source d’où sont sorties toutes les utopies, toutes les révolutions, toutes les démences, et cela, dans tous les temps, mais plus particulièrement dans les temps modernes, où la personnalité humaine a pris de si monstrueuses dilatations.

Or, rien de plus radicalement faux que ces idées. Nul ne doit le bonheur à personne. Quand l’homme dit : Je ferai ton bonheur, il dit une fatuité. Le bonheur est la dette de chacun à soi-même et nul n’en dispose que soi seul. L’ordre universel le renferme par le libre arbitre ; il est au fond de nos consciences, dans l’exercice de nos vertus ; mais la fonction terrestre ne doit que l’ordre matériel, l’ordre dans les rues, mais elle nous le doit à tout prix, et si nous confondons notre dette, à nous, avec la sienne, tous les sophismes vont se redresser avec fureur. Il n’y a qu’un bon gouvernement qui soit possible dans la nature même des choses, qu’un seul, quels que soient les