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t-on ? c’est précisément dans les lettres d’Abailard et d’Héloïse, dans ces lettres qu’aujourd’hui l’on traduit et l’on publie, qu’il nous a été impossible de les découvrir !

Selon nous, ces lettres éteignent toute illusion et nous tachent, dans l’esprit, les deux beaux portraits que l’Imagination y avait peints et suspendus ! Vus à travers ces lettres, les deux amants de grande et bonne foi disparaissent, et vous ne voyez plus que deux philosophes qui font des phrases philosophiques au lieu de naïvement s’aimer. Vous ne voyez plus, à la place de la sombre fatalité du cœur, maudite et pourtant toujours pardonnée, que deux orgueils philosophiques avec toutes les nuances de ces sortes d’orgueil, lesquels s’arrangent pour draper de pourpre une intrigue scandaleuse et en faire chatoyer vaniteusement tous les plaisirs et toutes les larmes. D’un côté, vous avez un fat de quarante ans, un bellâtre gauche et impudent, une de ces âmes comme celle de Rousseau, coquinement honnêtes, qui se passionnent d’esprit pour le bien et de volonté pour le mal ; et de l’autre vous avez un bas-bleu du douzième siècle, froide de cœur comme toutes ces folles Ménades de la gloire qui l’appellent « un deuil éclatant du bonheur », et qui s’est, comme on dit vulgairement, monté la tête, non pour l’homme tel qu’il soit, mais pour le professeur le plus renommé de son temps. Malgré des malheurs très réels, je ne sache rien de moins touchant que ces deux êtres, et malgré les efforts qu’ils font pour introduire dans l’amour la haute philosophie et la littérature, je ne sache rien de plus ennuyeux et de plus pédant que leur langage. Dans