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aveugle d’égoïste maternité, de trouver beaux \es petits monstres qu’elle a faits.

Et voilà tout le secret de l’enthousiasme involontaire du Rationalisme pour Abailard et pour Héloïse ! La Philosophie les a faits l’un et l’autre ce qu’ils sont, et elle reconnaît plus ou moins son œuvre dans tous les deux. Pour notre part, nous l’avouerons sans honte, nous aussi, nous avons donné dans la grande piperie qui est le trébuchet séculaire, au fond duquel les Imaginations et les Sensibilités viennent chuter. Comme beaucoup d’autres, au début de la vie, de la réflexion et de la science, nous nous sommes laissés charmer par les lointaines mélancolies de la légende et abuser par les mensonges attendris des poëtes. Parce qu’il y avait eu, mêlé à cette fétide séduction d’une élève par l’homme chargé de l’instruire, d’une jeune fille par presque un prêtre, un crime terrible en expiation et en vengeance d’un crime odieux, nous avons cru longtemps qu’une passion immense, une rareté effrayante, mais belle peut-être à force d’impétuosité, de profondeur et de flammes, devait reposer comme le Léviathan dans l’abîme qu’il a troublé, au fond de toute cette vase de sang et de larmes qui semble n’avoir pas séché encore. Nous l’avons cru et nous avons vécu dans l’émotion commune ; nous avons épousé l’intérêt triste et cruel de cette page d’histoire, désespérée ! Car l’homme est ainsi fait que la Passion l’attire avec son idéal funeste et qu’il lui garde toujours un lambeau de son être, chair ou esprit, à dévorer ! Plus tard seulement, cette passion rêvée, entrevue, supposée, là où le désordre et l’horreur furent si grands, nous en avons cherché la preuve et les traces, et le croira-