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Nous avons dit qu’il tâtonnait. Le bâton avec lequel il tâtonna et sur lequel il s’appuya en anatomie, par exemple, fut Daubenton, mais par Daubenton (qu’importe le moyen !) « il créait l’anatomie comparée, dit M. Flourens, et il en comprenait l’importance. » C’était l’habitude de son esprit, et c’en était aussi la force, de comprendre, de féconder, d’élargir les faits qu’il n’avait pas découverts. Moins expérimentateur habile que généralisateur formidable, il promenait sa vue sur les expériences qu’il n’avait pas faites ; il en tirait les conséquences les plus éloignées ; il en appuyait des conjectures. « Et », — dit l’éloquent M. Flourens, qui voudrait couvrir de sa tête tout entière, comme on couvre de sa poitrine celui qu’on aime, les erreurs de Buffon, ces erreurs qui sont souvent grandioses, — « et j’aime mieux, à tout prendre, une conjecture qui élève mon esprit qu’un fait exact qui le laisse à terre… J’appellerai toujours grande la pensée qui me fait penser. »

« C’est là le génie de Buffon, ajoute-t-il encore, et le secret de son pouvoir, c’est qu’il a une force qui se communique, c’est qu’il ose et qu’il inspire à son lecteur quelque chose de sa hardiesse. »

Et pourtant, est-ce que les paroles de M. Flourens ne sont pas singulières ? Ensorcellement par la beauté, par la grandeur, par le charme, enfin, du génie, plus que par la vérité qu’on lui doit ! Si, vous autres savants, vous vous laissez entraîner ainsi hors du vrai limité, impérieux, immuable, que voulez-vous que nous devenions, nous, devant les beautés littéraires de cet homme qui fut certainement, en définitive, plus un grand artiste dans l’ordre scientifique qu’un savant !