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solitaire en grande toilette. Il haïssait Paris, le désordonné Paris, dont les soupers faillirent tuer jusqu’au génie de Montesquieu, — et il le fuyait. Quand il n’était plus au Jardin du Roi, il était à Montbar, dans ce pavillon aérien, qu’il avait fait bâtir au-dessus de toutes les terrasses, et dans la lanterne vitrée duquel il passa « cinquante ans à son bureau. » C’est là et de là qu’il porta dans les résultats de ses travaux et dans sa manière de travailler, dans son style qui était l’homme et dans les moindres détails de la vie, cette hauteur tranquille et cette éternelle préoccupation de l’ordre et de la règle qui fit sa gloire et son bonheur, car il fut heureux ! Il ne le fut point à la manière du chaste Newton, ce célibataire sublime, qui n’aima que Dieu et ses lois. Il avait, lui, quelque chose de trop tempéré, de trop harmonieux, pour se mutiler ainsi le cœur, pour être un si cruel ascète de la science ! Non, il se maria tard, dans sa beauté mûrie, et distribua ses jours entre la Méditation et la Nature, entre l’amour sans trouble du mariage et les vigilances tendres et lucides de la paternité. Il avait mis tant d’ordre dans sa vie, qu’il put, sans inconvénient, la partager !

Voilà l’homme, — le seul homme calme, comme un Ancien, d’un temps ivre de vin de Champagne et de pire encore ; voilà le Buffon que M. Flourens a voulu nous peindre, consacrant à l’homme un talent très-vif de biographe et au savant une science qui a l’accroissement de presque un siècle de plus. M. Flourens est un de ces esprits issus de Buffon dont on pourrait dire : Si Buffon n’avait pas été, existeraient-ils ? Pour moi, je le crois, quant à M. Flourens. Il a une personnalité