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là à sa vraie place pour faire illusion. Quelques esprits pleins de fraîcheur, mais ignorant parfaitement dans leur virginité française tout ce qui se brasse de paradoxes outre-Rhin, avaient poussé leur petit cri d’admiration, en humant le matin avec leur café des idées qui leur semblaient nouvelles. Étonnés et flattés de la sensation, ils se disaient avec mystère : « Quel est donc ce M. Renan ?… Voilà un critique redoutable ! » II semblait que dans les jungles du journalisme on entendît miauler — doucement encore, il est vrai, — un tigre de la plus belle espèce et dont la voix devait arriver aux plus terribles diapasons ! Si M. Renan était resté dans la publicité des journaux, cette publicité d’éclairs, suivis d’ombre, nous n’aurions pas eu la mesure de ses idées dans leurs strictes proportions. Nous aurions pu le croire formidable ; mais avec un livre, nous pouvons le juger. Aujourd’hui que le tigre est sorti de ses jungles, nous nous apercevons qu’il a fait ses humanités en Allemagne et qu’il n’est qu’un chat assez moucheté, car il a du style par places, mais cachant sous sa robe fourrée et ses airs patelins la très grande peur et la petite traîtrise de tous les chats, — ces tigres manques !

Oui, peur et traîtrise, voilà les deux seules originalités des Études religieuses de M. Renan. Ordinairement en France on est plus brave. S’il y a des poltrons d’idées, ce ne sont pas du moins ceux qui les ont. Voyons ! M. Renan, au fond, est un philosophe. C’est un rationaliste ; c’est un hégélien plus ou moins ; c’est l’ennemi du surnaturel ; c’est le critique qui montre comment cela pousse dans l’humanité, mais n’est jamais la vérité en soi, indéfectible, absolue, comme nous