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Saint-Martin. Un juif portugais, savant dans la cabale, nommé Martinez Pasqualis, avait fondé, en 1768, la secte des Martinistes, « vouée aux œuvres violentes de la théurgie », et c’est de cette école que Saint-Martin fut le fils, mais bientôt le fils dissident. Martinez mort, il la modifia. Doué d’une âme qui fut son génie, on aurait pu dire de lui le mot charmant du vieux Mirabeau : « Qu’il était tait de la rognure des anges. » Mais, puisque des anges sont tombés, une telle rognure ne garantit pas les hommes ; et Saint-Martin, si chrétiennement né, se perdit. Certes, si l’Église a des mélancolies comme celles des mères, ce doit être en voyant se détacher d’elle des âmes comme celle de Saint-Martin. Déjà tout plein de Swedenborg, qu’il n’acceptait pas dans toute son audace, en relation avec le commentateur William Law, il lut Boëhm, et tout fut dit. Sa vocation et sa chute furent décidées. Voilà le plus grand événement de sa vie, dit-il, et il a raison. C’était en 1781. « L’aurore naissante » de Boëhm, qui se leva dans l’éther de son âme, l’empêcha de voir cette autre et terrible aurore qui allait s’étendre sur le monde des réalités et dans le ciel sanglant de l’histoire. Biographe avec scrupule, M. Caro nous montre Saint-Martin, abrité contre la révolution française dans le désert intérieur de sa spiritualité, et, quand la tempête est passée, plus tard, en 1795, il suit avec un intérêt mêlé d’éloge le solitaire devenu homme public, répondant sur la question de l’enseignement, agitée alors officiellement par le Pouvoir, aux attaques cauteleuses de Garat, le rhétoricien de la sensation. M. Caro insiste beaucoup sur cette discussion, dans laquelle Saint-Martin déploya