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qui n’ont pas toutes leurs solutions dans ce monde, tout de même il y a des esprits qui, de conformation naturelle, réfléchissent les métaphysiques qu’ils n’ont pas créées, et, pour nous servir d’une expression hégélienne, qui repensent la pensée des autres.

M. Vera est un de ces purs miroirs intellectuels. On souffre un peu de voir une intelligence d’une trempe si mâle, si solide et si claire, porter perpétuellement l’image d’Hegel et la retenir, comme la glace ne retient pas l’image, mais comme le bronze retient l’effigie. On souffre de voir un pareil homme suivre Hegel, les pieds dans la trace de ses pieds, et presque servilement, si on pouvait être servile quand on suit ce qu’à tort ou à raison on a pris pour la vérité.

Mais on se dit, malgré la crainte que j’exprimais au commencement de ce chapitre, qu’il n’y a pas plus de fatalité pour l’esprit que pour le cœur, et que l’homme est son maître, tout en se donnant et même après s’être donné un maître !

D’ailleurs, puisqu’il a l’orgueilleuse faiblesse de croire à la science absolue, ce M. Vera, assez ferme de regard pourtant, pour voir qu’elle ne peut jamais, dans ce monde inférieur, être que relative, contingente et bornée, autant pour lui, Hegel, qu’un autre ! Autant même pour nous, si nous y croyions !

Il est évident qu’Hegel est l’homme le plus éminent de la philosophie, dans la nation la plus forte en philosophie qu’il y ait présentement dans le monde, et si c’est là une mesure très-rassurante pour ceux qui tiennent la philosophie pour le peu qu’elle est, c’est une chose troublante et très-entraînante pour ceux-là qui l’aiment et qui l’exagèrent parce qu’ils l’aiment. Seulement,