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dans des romans écrits par des hommes. Seulement ce qu’il y a et ce qui plaît, du reste, c’est qu’on sent que l’auteur n’a rien voulu de tout cela et que la prétention du bas-bleu qui se tend pour se donner des muscles, comme un homme, n’a pas fait tort à son naturel de femme et d’écrivain. Le seul reproche qu’on puisse peut-être lui adresser, à cette plume pure qui finit par être trop pure, c’est la perfection, que j’ai déjà signalée, de ses personnages. Excepté une gouvernante de la princesse Oghérof, type de jalousie, de perfidie et de bassesse, que l’auteur maladroit à peindre le vice, n’a pas renouvelé, ils sont tous, ces Grévilois ! de la vertu la plus désespérante et les créations impossibles d’un indéconcertable optimisme. Heureusement, chose qu’il faut noter ! que l’auteur qui aurait pu être, avec cet optimisme et cette tendance à la perfection universelle et imperturbable, formidablement pédant et niais, comme certains bas-bleus à la manière anglaise, ne l’est jamais ; et c’est ainsi que celle que j’ai appelée le Bas-lilas, évite le bas-bleu !

En effet, c’est une femme, demeurée femme malgré tout, malgré la fureur d’écrire, cette maladie, ce choléra des femmes du xixe siècle ! C’est une femme et une femme, Dieu merci, spirituelle, et je l’ai appris tard, mais enfin je l’ai appris, et j’en suis d’autant plus content que je l’ai appris tard ! Je ne l’ai su, en effet, qu’en lisant Dosia, le chef-d’œuvre de Mme Henry Gréville. J’avais lu tous ses autres romans et jusque dans la princesse Oghérof, je n’avais trouvé qu’un talent de femme, tout en récit, sans aperçu jamais, à côté, comme dans Mme de Staël qui foisonne, elle, d’aperçus ! Mais je n’avais pas trouvé l’esprit, la repartie, le brio, le trait, qu’ont les femmes spirituelles, sans écrire, et qu’elles ont partout, au pied levé, dans un tour de main, dans un tour de valse, sous l’éventail, sous la cheminée, et même sous les rideaux !… Je me disais : n’a-t-elle donc que du talent, de ce talent littéraire dont je ne