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peuple, tirés des entrailles mêmes du peuple et à qui elle voudrait arracher l’enseignement pour le remplacer par le sien. Vous êtes orfévre, Madame Josse ! Elle déteste, en eux, le christianisme qu’ils apprennent à la jeunesse future, parce que le Christianisme c’est le passé du monde et de la France, et « ce qu’on doit haïr, c’est le passé, » dit-elle avec la rigueur d’un axiome. Pour en arriver là, elle ramasse, d’une main sans fierté, les plus sottes idées de ce sot temps sur le Péché originel et sur la Grâce, qui sont tout le christianisme, et elle les lui lance à la tête, ces sottes idées qu’elle sait peut-être sottes… « Quand je vis, dit-elle quelque part avec la nonchalante fatuité d’une raisonneuse dépaysée, qu’Il (Dieu, — notre Dieu, à nous !) ne valait pas mieux que les hommes, j’y renonçai. » Dieu fut bien attrapé et elle le remplaça par l’Idéal, cette billevesée allemande, dont elle a dit ailleurs : « Le créateur de l’idéal, c’est l’amour. » Si elle s’entend, c’est une athée. Mais qu’est-elle, si elle ne s’entend pas ?…

Elle est un cerveau brouillé et en révolte, et dont la révolte manque même de puissance. On l’a vu, et j’ai pris plaisir à le reconnaître : Mme André Léo a, dans la question du Divorce, été moins femmelette femelle que les femmelettes mâles de son parti ; mais en dehors de cette question, elle n’est plus qu’un bas-bleu de la troupe et qui ne sort jamais du rang… Elle a toutes les idées communes aux bas-bleus. Elle a la négation raisonnée de toute autorité et de toute hiérarchie, la fureur de l’égalité avec l’homme, dans l’intelligence, dans les œuvres, dans l’amour et surtout dans le mariage… Les femmes du temps de Molière ne faisaient que les savantes, et lui, en faisait des personnages de comédie. Elles ne s’occupaient que des sonnets de Trissotin et des ballades de Vadius. Mais à présent qu’elles ont passé du monde littéraire dans le monde moral et social, elles veulent absolument être de petits hommes — et les maris de leurs maris !