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son atome de femme, à travers ce pédantisme dont elle est affligée et une éducation que j’imagine être de seconde main, et qu’elle doit peut-être à son mari. Elle a, dans ses livres, l’œil baissé, la contenance pudique… quelque chose d’opiniâtrément subsistant et de ressemblant à la décence romaine ; mais le fuseau de la Matrone est tombé dans l’encre moderne et elle l’a taché de cette encre. Avec cette air vieille fille que le bas-bleuisme endoctrineur lui a donné, Mme André Léo croit, comme les vieilles filles, à l’amour qu’elle confond avec le mariage, dans sa théorie ; menée, malgré elle, à cette conclusion que le but de la vie, c’est le bonheur du cœur, — la grande idée, hélas ! pour toutes les femmes, même pour Mme de Staël, la plus intelligente de toutes, qui a écrit l’Influence des passions, ce livre qui veut être un livre philosophique, et qui n’est que le magnifique cri d’une magnifique sensibilité !


III


Pas de grâce ! Pas de charme ! Par conséquent pas de grande artiste, et même pas d’artiste du tout ! Ce roman du Divorce, un de plus soignés de Mme André Léo, — esthétiquement — n’existe pas. C’est, comme tous ses autres romans, une thèse plus ou moins cachée… On s’y perd dans les personnages et aucun n’a de physionomie qui s’impose à l’imagination et qu’on se rappelle. Chose à noter, dans les romans écrits par des femmes ! Preuve irréfragable de leur profonde médiocrité ! On ne s’en souvient plus, peu de temps après qu’on les a lus. Écrits avec du fusain, qui est une poussière, ils s’en vont, comme la poussière, au moindre souffle… On se rappelle Mme André Léo, bien plus par les idées qu’elle défend que par ses ouvrages… Or, si l’artiste n’y est point, à quoi bon des romans ? Pourquoi pas simplement des Traités ? Mais c’est que le roman porte, bien plus loin