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avancée de la littérature. Mme Gustave Haller ne paraît pas se douter d’une loi souveraine en matière de roman, c’est qu’il faut que les événements sortent des développements et du choc des passions et des caractères, et non pas que les passions et les caractères y soient, comme dans les sots hasards de la vie, emboîtés dans les événements…


III


Quant aux passions et aux caractères qui pourraient exister fortement même dans un roman dont la trame serait aussi mal faite que celui de Mme Haller, les uns et les autres y sont posés, oui ! mais prouvés, non ! et restent dans les prétentions de l’auteur. L’œuvre confuse semble inachevée partout. Elle n’a nulle part ce vigoureux coup de pouce qui précise et qui fait saillir. Ce pouce-là n’est guère attaché à la main des femmes qui, pour la plupart sont, plus ou moins, de Petits Poucets, en littérature. Le héros du roman de Mme Gustave Haller, lequel se passe en Angleterre et fait mille politesses à ce pays, est une espèce de Grandisson, membre de la Société de tempérance et qui fait boire de l’eau à son domestique, né Français (il nous en fait boire aussi !) ; c’est, dit textuellement et emphatiquement le roman, « l’homme nouveau qui jette dans l’esprit des hommes les semences destinées à fertiliser l’avenir. » En tant qu’il faille se rattacher à son siècle par une Sottise, voilà celle par laquelle Mme Gustave Haller se rattache au sien ; car la sottise à la mode au xixe siècle où tout meurt, usé et fini dans tous les ordres de faits et d’idées, c’est de croire béatement à l’avenir. Ce Grandisson réformateur, qui fait des livres (l’idéal du bas-bleu !) et qui est officier dans l’armée anglaise, on ne sait pourquoi, si ce n’est pour porter un joli uniforme, s’est donné la mission de vivre pour les autres. Impérieuse vocation qui