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III


Tels sont les romans de Mme Colet. Je l’ai dit déjà : ce qui les distingue, c’est leur néant comme œuvre, humaine et littéraire ; c’est cet incompréhensible néant dont les passions, qui ont toute honte bue et tout ridicule bu, n’ont jamais pu les faire sortir. Une étincelle de talent peut quelquefois briller, même à travers l’extravagance ; mais aucune ne s’est jamais allumée, dans l’extravagance de cette femme à la vanité enragée, hydrophobe de silence et d’obscurité. Jamais plus d’effort, plus de tension, plus d’enflement n’ont abouti à un fiasco plus complet… Cette fille naturelle de Diderot, comme Mme Sand l’est de Jean-Jacques, n’a point la pléthore sanguine de son père. En prose, comme en poésie, elle est emphatique et creuse. Elle a le ventre gros comme une cruche, mais vide. Par une contradiction de la nature, elle est déclamatoire et flasque. La déclamation de Diderot a du muscle. La sienne n’en a pas, elle est empâtée… Dans son Italie des Italiens, titre qu’elle emprunta à un discours du trône de Victor-Emmanuel, elle n’est pas, — il faut en convenir, — tout à fait aussi misérable et dénuée que dans ses romans, mais la faute n’en est point à elle… Pour qui n’existe pas par soi-même, l’histoire qui est quelque chose par elle-même, elle ! remplace, par des faits, les facultés qu’on n’a pas. C’est la planche de salut de ceux qui, sans elle, s’enfonceraient dans leur pauvre vacuité. Mme Colet, sur la fin de sa vie, s’accrocha à l’histoire ; et comme on suspend une robe à un clou, suspendit sa médiocrité à des événements contemporains, qui allaient la mettre en vue, puisqu’ils étaient contemporains. Pour elle, grande chose — trop grande même, — prendre l’Italie révolutionnée pour piédestal, c’était plus beau que le cap Misène ! Corinne nouvelle, elle se fit généreusement