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œuvres à elle, comme des éclairs. Cette femme, qui n’était pas un bas-bleu, quoiqu’elle ait écrit, cette femme qui heureusement pour elle n’était qu’une femme et non pas un homme, comme le disaient les hommes, lesquels en disant cette sottise, croyaient lui faire un compliment, et à eux aussi, cette vraie femme de Mme de Staël, d’un cœur si passionné et si sincère et d’une sagacité si enflammée, est morte sans avoir révélé tout ce qu’elle avait, sans doute, vu dans l’âme et dans l’esprit de lord Byron. Le génie a de ces embarras avec le génie. Mais ce qui n’est point le génie n’en a pas. Avec un sans-façon charmant et une admiration presque impertinente de familiarité, l’auteur de Robert Emmet met sa petite main blanche sur cet effrayant sujet de lord Byron que lui a laissé sa grand’mère, mais sans le lui léguer. « J’ai toujours eu un faible pour lord Byron, » dit-elle dans son livre. Elle a raison. Ce n’est pas une force, et elle va tout à l’heure nous le prouver !

Son livre, en effet, est comme ce qu’elle éprouve. C’est un faible. Rien de plus faible, et faible est bien le mot : il n’est que cela. Il n’est pas mal pensé ; il n’est pas mal écrit ; il n’est point déclamatoire ; il n’est point ridicule ; il n’a ni la fausse poésie, ni le faux enthousiasme, ni la fausse profondeur. Non, il est faible tout simplement. Il est débile, anémique, inerme, sans style personnel, sans pensée nouvelle, correct et coulant (et déjà coulé !), très-convenable en tout point, mais la faiblesse dans la convenance, et c’est à cette nuance qu’il faut s’arrêter. Ôtez les vers de lord Byron qu’à chaque page on cite ; ôtez les fragments des Mémoires de lord Byron qu’on y ajoute ; ôtez les faits connus et trimbalés partout sur ce génie, déjà légendaire ; ôtez enfin tout ce qui n’est pas de l’auteur de Robert Emmet, et il ne restera rien et ce sera son livre ! C’est une copie de tout ce que nous avons lu jamais sur lord Byron. C’est parfaitement exact, mais c’est un peu impudent, un peu effronté, ne trouvez-vous pas ?… Car une copie, si proprement faite qu’elle