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L’abêtissante eau bénite aurait donc un meilleur parfum que toutes les verveines des sorcières du monde ? Le monde serait surpassé dans les encharmements de son langage, et nous ne citons que ce qu’il aime ! « Mettons la croix entre nous deux comme un appui pour l’une et pour l’autre ! » Ces grands traits, que Bossuet et Corneille auraient admirés et qui sont partout dans les pages que nous avons d’elle, ce sont des mots à la chrétienne, des mots pour Nous ! Nous n’avions pas à les dire au monde : cela ne le regarde pas !

Ainsi, elle avait des amies, cette solitaire, des relations, des connaissances avec qui elle vivait, toute supérieure qu’elle fût, dans un charmant plain-pied de cœur. C’étaient les jeunes filles des châteaux voisins, presque toutes ses cousines à quelque degré. Elle allait les voir. Elle quittait parfois sa terrasse et sa tourelle du Cayla, et s’enfermait une huitaine à ce Rayssac, par exemple, qu’elle nous a peint en trois coups, à la manière noire de son frère : « Rayssac, montagnes aux croupes de chameau, au front hérissé de forêts et de rochers, nature agreste et sauvage ! » Elle avait même ailleurs que dans son voisinage des amies épistolaires, qui devinrent plus tard des amies complètes, et c’est ici que nous touchons au grand événement et au seul bonheur, très-vif, de cette existence que Dieu s’était, à ce qu’il semblait, particulièrement réservée : nous voulions dire au voyage à Paris de la bergère du Cayla et au mariage de son frère.

Depuis qu’il était sorti du collége et qu’il était entré dans le monde, Georges-Maurice de Guérin avait été toujours errant, tantôt chez M. de Lamennais, en Bretagne, où il vit le Lucifer du sacerdoce pencher longtemps sa tête d’astre sur le gouffre au fond duquel il allait se précipiter ; tantôt à Paris, ici ou là, obligé aux luttes familières à tous les membres de cette pauvre société déclassée, et sauvant de ces luttes qui auraient dû l’écraser, le talent le plus fait pour le repos, la