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le temps et pèsent souvent plus que lui. Les âmes basses ne comprendront rien à la beauté cachée de ce récit, dont celle qui le fait et qui a les yeux attachés sur la source de la Beauté éternelle, ne se doute, certes, pas non plus ! Mais les âmes élevées ?… Nous nous fions à elles. Est-il besoin de nommer la sœur d’Eugénie ? L’accent des Guérin est aussi reconnaissable que la devise de leur blason et dit la même chose. Dans cette famille, ceux qui n’ont pas le génie, peuvent s’en passer à force d’âme… Que ce soient des gouttes de rosée, des gouttes de larmes, des gouttes du sang du cœur qui tombent de ces calices, c’est toujours la même pureté d’éther qu’on aspire dans ce qu’ils ont versé.

Ici cette pureté se retrouve et plus que jamais condensée. Si les esprits contemporains n’étaient pas troublés et rompus jusqu’à l’axe même, il suffirait, sur Eugénie de Guérin, de cette page où l’écrivain oublie jusqu’à la langue qu’il emploie et se sert des mots comme d’un doigt pour montrer les choses. Mlle Marie de Guérin, le sentiment sororial à part, est, à notre estime, l’historienne la plus digne de cette vie dont le calme a de quoi confondre nos grimaçantes agitations. Pour nommer les choses, et même les plus augustes, l’homme a deux mots différents, qui correspondent aux deux partis qu’en toute occasion il peut prendre et qui attestent sa liberté. Cette monotonie sublime dans les habitudes et les œuvres, qui dura trente ans de facultés vigoureuses et saines, et qui, avant la mort, ne s’interrompit qu’une seule fois, on pourra donc l’appeler, nous le savons bien, d’un nom qui la ravale. La haute raison des libres-penseurs ne se déformera pas beaucoup en découvrant que ce fut la routine d’une religion timorée, comme si tout ce qui ne change pas, tout ce qui se suit et ce qui dure n’était pas aussi une routine, depuis la fidélité dans l’amour jusqu’au train du ciel étoilé au-dessus de nos têtes, depuis la persévérance dans la volonté de l’homme jusqu’à l’adoration perpétuelle des