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domaine de l’esprit, autant que dans la sphère du cœur, ne peuvent être jamais des grandeurs solitaires, elle a choisi son Seigneur par l’admiration, la lecture préférée, et elle a peint comme lui la nature ; et elle a écrit dans sa manière, mais, grâce à Dieu ! avec un sentiment qui est sa gloire, à elle, et que Michelet, le chrétien tombé, avait perdu.

L’auteur des Horizons prochains, cet esprit d’ange, et jamais ce mot n’a été plus vrai, est tellement chrétienne, qu’on dirait qu’elle l’était avant que d’être une âme, si cela n’était pas impossible. Protestante encore, comme, à plus d’un accord, son livre le révèle, mais catholique d’âme, catholique d’essence, faite pour venir à nous un jour, et si elle n’y vient pas, digne d’être de nous éternellement regrettée, elle a comme perdu sa personnalité de femme dans la profondeur de sa foi religieuse, et elle y a trouvé plus qu’elle ne pouvait y laisser, car l’ombre de Dieu sur notre pensée, vaut mieux que notre pensée, fût-elle du génie. C’est cette ombre de Dieu que l’auteur des Horizons a portée sur la sienne dans un livre qu’on peut classer plus ou moins haut comme production littéraire, mais qui, avant tout, pour celle qui l’a écrit, aussi bien que pour nous, est un acte, — un acte de christianisme, de consolation et de charité.


IV


Car c’est là que nous voulions en venir. Les Horizons prochains, à proprement parler, ne sont pas un livre. Ils n’ont pas de composition. C’est un album dont la rêverie d’une femme tourne les feuilles ; c’est un appel, sans ordre, à des souvenirs qui s’en viennent vers vous, un à un, évoqués par des paysages ; ce sont enfin les méandres d’une âme qui se replie sur elle-même, dans les mélancolies du passé. C’est dans des paysages, en effet, empruntés tous à la nature alpestre du Jura, proba-