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tous les sots, depuis, ont fait tinter comme une clochette : « La gloire pour une femme est un deuil éclatant du bonheur. » Pour nous, c’est bien pis ; c’est une indécence. Mais l’auteur des Horizons prochains a eu la délicatesse du mystère. Ce n’est pas un bas-bleu, c’est un voile-bleu. C’est bien différent !


II


Et qu’elle n’ait pas peur ! Nous ne lui ôterons ni ne le dérangerons, son voile. Qu’elle le garde et qu’elle s’en entortille ! Nous parlerons d’elle comme si elle n’était pas dessous. Nous lui dirons mieux la vérité toute entière. Critique littéraire, de fonction, nous avons là précisément deux ou trois duretés dont nous voulons nous débarrasser. On est plus franc avec les femmes, quand on ne les regarde pas.

Nous avons dit qu’à ses qualités autant qu’à son voile, on reconnaissait l’auteur des Horizons prochains pour une femme. À ses défauts et aux faiblesses de son livre, on la reconnaîtrait pour telle encore, car elle y manque de ce qui manque à toutes les femmes, même à celles que le monde, toujours un peu séduit quand il s’agit de femmes, appelle galamment des génies, je veux dire de force constructive et de grande originalité. En ceci, l’auteur des Horizons prochains n’est pas plus littéraire qu’une autre femme qui écrit. Être original dans le sens profond du mot ; et, après l’avoir pensé, bâtir un livre dans la puissance équilibrée de son harmonie, voilà le signe de la virilité en littérature, et nulle femme ne l’a ni ne peut l’avoir. L’Histoire, sur ce point, ne nous donne pas de démenti.

Il y a bien, ici et là, quelques monstruosités en histoire, mais celle-là nous a été épargnée. Des femmes Homère, des femmes Sophocle, des femmes Shakspeare, ne s’y rencontrent pas. Vous y trouvez bien quelques Sapho