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Les Horizons prochains ! En écrivant un pareil titre, que nous osons blâmer parce qu’il n’est pas clair, au front d’un livre qui est tout clarté, l’auteur a parlé, d’ailleurs, comme tant de mystiques, une langue intelligible pour lui seul. Les Horizons prochains rappellent par leur vague Les Torrents de Mme Guyon. Pour comprendre ces titres-là, chargés, comme d’électricité, de tant de significations secrètes, il faut avoir l’âme au diapason de celle qui écrit les Horizons prochains ! C’est une nuée, et l’on voit ce qu’on veut dans les nuées ! Est-ce de la politique menaçante ? Est-ce du socialisme pour ce soir ou de la morale pour demain ? Enfin une fatuité quelconque d’auteur qui se croit un prophète ? Eh bien ! non ! ce n’est rien de tout cela. Le titre de ce livre délicieux devient presque faux, quand il s’agit de le préciser. N’y croyez pas trop. Les horizons qu’il appelle prochains et qu’il entr’ouvre, sont lointains plutôt pour nos yeux et nos âmes, car ce sont les environs du Ciel.

Et l’écrivain qui les a décrits, ces horizons et ces environs, avec le sens et le goût des choses divines, qui est-il ?… Il a fait son livre comme une bonne action, et sa main gauche n’a pas voulu savoir ce que sa droite écrivait si bien. Il s’est caché sous les trois étoiles de l’anonyme. Ces trois vieilles étoiles si banales, si poncif, les voilà aujourd’hui de vraies étoiles, mystérieuses, brillantes et chastes, remplaçant le nom qu’elles ne disent pas par un symbole qui le traduit ! « Je ne le dirai pas devant vous, chastes étoiles ! » disait Othello en parlant de ce qu’il croyait un crime ; nous ne le dirons pas non plus devant vous, chastes étoiles, de ce que nous croyons une vertu.

Une femme seule a pu écrire ce livre et s’en cacher. C’est là deux mérites où un homme n’en aurait mis qu’un. Nous aimons, nous, que les femmes aient de la pudeur contre le succès et la gloire, et se voilent rougissantes, et par là plus charmantes, contre ces regards et ce jour. Mme de Staël a dit le mot, le fameux mot que