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satisfaits lui relevèrent le front, ouvrirent ses lèvres à tous les sourires, et firent flamber ses yeux éteints. Elle devint aimable, de cette amabilité toute en bienveillance qu’ont les femmes qui manquent d’idées et qui sont riches en sentiments. Plus la soirée s’avança, plus cette femme, qui jouissait avec tant de profondeur des préférences publiques de son amant, rayonna du bonheur qui la foudroyait. À force d’expression, elle reconquit presque sa beauté. Mais, par un contraste qui dut frapper à la fin les yeux les moins observateurs, à mesure que les félicités de cœur de Mme d’Anglure ravivaient ses manières et transfiguraient ses traits mornes, la marquise perdait de son animation habituelle, du feu roulant de sa repartie, et jusque de l’éclat fulgurant de sa beauté. On eût dit un singulier déplacement de la vie dans ces deux femmes, et que la chaleur et la flamme passaient de la torche éblouissante au pâle flambeau menacé de mourir.

Avec quel intérêt haletant M. de Maulévrier suivait ce changement dont il était cause, ces distractions d’un esprit toujours si présent ! Pendant qu’il semblait n’être occupé que de Mme d’Anglure, au milieu des groupes du salon et de ces causeries éparpillées qu’elle avait mises en train et pendant quelque temps soutenues, la marquise s’était retirée à l’écart sur un canapé où nulle femme ne se trouvait alors.